Les écoles de Chartres
En 1895, dans un ouvrage fameux, l’abbé Clerval montre que Chartres fut au Moyen Âge le siège d’une école particulièrement brillante. En s’appuyant sur les archives de la ville, il en décrit le fonctionnement, énumère les maîtres et souligne l’influence. En 1927, Haskins présente cette école comme un des phares de la « Renaissance du XIIe siècle ». Remettant en cause l’existence même de cette école, Richard Southern instaure en 1970 une controverse féconde, à laquelle contribuent notamment Nicolas Häring, Roberto Giacone, Peter Dronke, Edouard Jeauneau et Jean Châtillon. Les débats permettent ainsi de clarifier ce que l’on entend par « école ». En effet, les historiens antérieurs tendaient à superposer deux notions, celles d’école institutionnelle (lieu d’enseignement) et d’école intellectuelle (courant doctrinal).
Or si l’existence à Chartres de la première ne fait aucun doute, la seconde est plus délicate à circonscrire. Aujourd’hui, personne ne nie que des relations personnelles et des affinités de doctrine aient existé à l’intérieur d’un groupe de maîtres et de penseurs, dont plusieurs ont effectivement enseigné à Chartres. Toutefois, ce groupe a des attaches avec d’autres lieux d’enseignement, comme Tours, Poitiers, Paris et la Normandie. Il serait donc plus exact de parler d’une constellation de maîtres, qui eut certes des liens privilégiés avec la ville de Chartres, mais dont le rayonnement s’étendit d’abord au quart nord-ouest du royaume, avant de toucher, par la copie manuscrite, l’ensemble de l’Occident médiéval.
Parmi les traits qui donnent à cette nébuleuse son identité intellectuelle, on mentionnera surtout :
- l’influence du Timée de Platon et des autres sources (néo)platoniciennes : Martianus Capella, Macrobe, Boèce, et un effort pour montrer que leur pensée, interprétée à l’aide de la notion d’integumentum (« revêtement »), est compatible avec la foi chrétienne ;
- un double intérêt pour les arts du langage, en particulier pour la grammaire et les textes des Anciens, et pour les questions de cosmologie et de physique.
« Nous sommes des nains perchés sur des épaules de géants. Nous pouvons voir plus de choses et plus loin qu’eux, non que notre vue soit plus perçante ou notre taille plus élevée, mais parce que nous sommes élevés et portés par la haute stature des géants. »
Bibliographie sur les écoles de Chartres
- Alexandre Clerval (abbé), Les écoles de Chartres au Moyen Âge du Ve au XVIe siècle, Paris, 1895 (réimpr. Slatkine, 1977).
- Charles H. Haskins, The Renaissance of the Twelfth Century, Cambridge (Mass.), 1927.
- Joseph-Marie Parent, La doctrine de la création dans l’école de Chartres : études et textes, Paris, 1938 (Publications de l’Institut d’études médiévales d’Ottawa, 8).
- Tullio Gregory, Anima mundi. La filosofia di Guglielmo di Conches e la Scuola di Chartres, Florence, 1955.
- Peter Dronke, « New Approaches to the School of Chartres », dans Anuario de Estudios medievales, t. 6, 1969, p. 117-140.
- Peter Dronke, Fabula : Explorations into the uses of myth in medieval platonism, Leyde – Cologne, 1974.
- Richard W. Southern, Medieval humanism and other studies, Oxford, 1970.
- Édouard Jeauneau, Lectio philosophorum. Recherches sur l’École de Chartres, Amsterdam, 1973.
- Roberto Giacone, « Masters, books and library at Chartres according to the cartularies of Notre-Dame and Saint-Père », dans Vivarium, t. 12/1, 1974, p. 30-51.
- Robert Louis Benson - Giles Constable (dir.), Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, Cambridge (Mass.), 1982 (réimpr. Toronto University Press, 1991).
- Martine Mari, Les écoles de Chartres, centre culturel pour l’Europe : Xe-XIIe siècles, Chartres, 1990 (Au temps des rois).
- Édouard Jeauneau, L’âge d’or des écoles de Chartres, Chartres, 1995.
- Michel Lemoine, Théologie et platonisme au XIIe siècle, Paris, 1998 (Initiations au Moyen Âge).
- Jacques Verger, Culture, enseignement et société en Occident aux XIe et XIIe siècles, Rennes, 1999.
- Théologie et cosmologie au XIIe siècle, l'École de Chartres, textes de Bernard de Chartres, Guillaume de Conches, Thierry de Chartres et Guillaume de Saint-Thierry réunis et traduits par Michel Lemoine et Clotilde Picard-Parra, Belles lettres, 2004.
- Pierre Riché – Jacques Verger, Des nains sur des épaules de géants. Maîtres et élèves au Moyen Âge, Paris, Tallandier, 2006
- Irene Caiazzo – Barbara Obrist (dir.), Guillaume de Conches : philosophie et science au XIIe siècle, Florence, 2011 (Micrologus’ Library, 42).
- Édouard Jeauneau, Rethinking the School of Chartres, Toronto, 2009 (Rethinking the Middle Ages, 3).
Gilbert de la Porrée et ses disciples Jordan Fantosme, Yves de Chartres et Jean de Beleth.
Gilbert de la Porrée, Commentaires sur Boèce. Saint-Amand, XIIe s.(4e quart).
Valenciennes, Bibl. mun., ms. 197, f. 4v.
Evangélistes juchés sur les épaules des prophètes.
Vitrail de la cathédrale de Chartres.